Ce fut un premier novembre qu'il apprit, au hasard d'une de ces minutes d'attention qui le surprenait parfois en pleine lecture de ses cours pourtant bien ennuyeux, que la vie, loin d'être ce phénomène spontané, optimiste et réjouissant qu'il avait toujours cru, n'était jamais qu'un sursis dont la pente naturelle était à la mort et non à la croissance, et qui ne se développait que dans la contrariété permanente de la pulsion innée de nos cellules au suicide. Le professeur de biologie, dans la raideur scientifique qui seyait à sa position, avait froidement fait noter "apoptose". Odilon revint en arrière pour essayer de trouver dans le début manqué du paragraphe la notation d'usage sur les précautions avec lesquelles il convenait de prendre une théorie encore mal assurée, l'avertissement de controverse ou de canular... Mais tout cela semblait sérieux. Il se rua sur la feuille suivante et la parcourut en diagonale, guettant le tiède dernier temps dialectique qui permet de ne pas se prononcer, les réserves, ou le retournement feu d'artifice vous-avez-eu-peur-mais-en-fait-non-on-a failli-vous-avoir-tout-va-bien, le happy end. Malheureusement, une demi-page de morpions trouait sa prise de notes. Souvenir qui plus est cuisant: il avait largement perdu ce jour-là contre sa jolie voisine d'amphithéâtre. Il revint calmement au sombre paragraphe qui avait hameçonné sa conscience. Nanana, mort cellulaire programmée, nana, vivre empêcher le suicide, nana gène exécuteur, déclenchement de l'autodestruction, vulnérabilité... Il ne s'était pas trouvé aussi mal aussi vite depuis son cours de licence sur la seconde loi de thermodynamique. Décidément, tout foutait l'camp. Il fallait donc lutter, toujours, jusqu'à l'échelle de nos minusculosités plasmiques qui l'avaient si souvent consolé. Rien n'était donné, rien n'était acquis. Tu veux vivre? Bats-toi! Cette éthique épique le fatiguait, lui qui se sentait assez peu les épaules d'Hercule. La mort n'était donc pas affaire de douce usure ou d'accident subit mais de tout naturel programme. L'évidence passait du côté obscur... Contrarié, insulté et manifestant tous les signes avant-coureurs de la crise d'angoisse, il reprit péniblement sa lecture. Une lueur alors. Blabla gènes protecteurs, blablabla relations, collectivité survie...Aïe, odeur de faux espoir... Non, pitié... Mais si, fumet de coup de grâce...Il acheva la dernière phrase en palpitant: interdépendance absolue, aucune cellule ne peut vivre seule.
Dans son pyjama et son appartement désert, il eut la sensation soudaine de courir un effroyable danger. Il suait abondamment quand il referma son classeur, et c'était sans rapport avec son probable résultat à l'examen du lendemain.
Dans son pyjama et son appartement désert, il eut la sensation soudaine de courir un effroyable danger. Il suait abondamment quand il referma son classeur, et c'était sans rapport avec son probable résultat à l'examen du lendemain.